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Asikkala, Finlande. Au bout d’une ligne droite parfaitement goudronnée, la forêt laisse place à une étendue d’eau gelée. Un beau soleil éclaire le lac Päijänne. Le mois de mars est déjà bien entamé mais la couche de glace est encore assez épaisse pour être foulée sans trop d’appréhension. Une dizaine de personnes, venues en bus, s’apprêtent à mettre le pied sur la banquise qui craque et se fissure à mesure que la température augmente. Ils viennent découvrir cette cathédrale immaculée ou vivre des sensations extrêmes.  

À cinquante mètres du rivage se trouve le terrain de jeu des plongeurs et apnéistes… sous glace. Certains sont là pour le plaisir, d’autres pour la compétition. Tour à tour, ils s’immergent. À la découverte d’un environnement magique où le risque n’est jamais loin. 


Ici, le danger ne réside pas tant dans l’absence d’air, qui se fait forcément sentir après de longues minutes passées en immersion. Il l’est davantage dans l’extrême froideur de l’eau, glaçante de la première à la dernière seconde. La plupart d’entre eux étaient déjà en Norvège en 2009, pour l’“Oslo Ice Challenge”. L’unique grande compétition officielle de ce sport un peu particulier. Cette fois-ci, en Finlande, il s’agit plus d’une « réunion entre amis », assez fêlés pour se lancer des défis givrés. Avec, cependant, une tentative de record à la clé.


« Ce n'est pas vraiment une compétition, le but est juste de vivre des moments fantastiques sous la glace, confirme Antero Joki, l’apnéiste finlandais organisateur de l’événement. C’est pour le fun, pour vivre des moments incroyables. Rien de plus. » « Voir la lumière du soleil d’en dessous, se sentir léger comme si on était dans l’espace … » Stig Severinsen bascule dans un autre monde. Capable de retenir sa respiration plus de 20 minutes sous l’eau, le champion aime ce genre de challenge. « C’est une manière de découvrir ses limites. »

« En plongée sous glace, il y a un côté aventure que tu n’as pas normalement, assure Christian Maldamé, apnéiste de haut niveau et troisième de l’Oslo Ice Challenge. Lorsque tu vas dessous, tu construis ta plongée. Tu dois aller sur le site, te créer ton ouverture, faire avec le froid. À Oslo, tu traversais une forêt, tu longeais un lac sur un kilomètre avant d’arriver au point de rendez-vous. C’était presque une randonnée. »


L’image est surprenante. À grands coups de hache puis de scie, quand ce n’est pas à la tronçonneuse, une petite entrée et deux sorties sont ouvertes dans le lac de Tignes. Des incisions d’un mètre de diamètre à peine qui viennent percer la couche de glace immaculée, épaisse de plusieurs dizaines de centimètres. Au bout de la lame, la glace se brise et laisse apparaître un monde éphémère et changeant.

Ici, ni record ni compétition. Au mieux un terrain d'entraînement. On vient plutôt passer un baptême avec combinaison et bouteilles. Bien encadré, et en toute sécurité.


Alban Michon a créé une école de plongée sous-glace dans la station en 2000. Quand il n’est pas consultant de Jacques Audiard pour son film “De rouille et d’os”, le directeur devient explorateur. De ceux qui partent visiter des zones sous-marines au Groenland ou au Pôle Nord pendant plusieurs semaines en petits groupes. La glace est son élément. Accompagné de bonbonnes d’oxygène, masque, tente et kayak, il parcourt les eaux froides du continent blanc. Seul, ou presque, au milieu d’un paysage inhospitalier. Hostile. « Une fois que tu es dessous tu as envie de rester un peu, affirme-t-il. Tu es aussi là pour te faire plaisir et ramener des images, explorer. Je plongeais dans des endroits où jamais personne n’avait plongé avant moi. » 


Tignes, Asikkala, le Groenland. Trois environnements différents, mais avec une caractéristique commune : cette épaisse couche de glace, et la volonté de s’évader sous elle. Pour le frisson du baptême, la performance physique et sportive, la joie du record, ou l’aventure et la science.

Une fois immergé, c’est le calme absolu. « Le spectacle n’est plus vers le bas mais vers le ciel, et l’atmosphère est étouffante, dépeint Alban Michon. On ressent bien cette sensation d’enfermement qui mène presque jusqu’à la phobie et la paranoïa. » Devant soi, un monde onirique fait d’eau, de glace et d’un peu plus que cela. Un ballet de couleurs bleutées et de faisceaux lumineux, pris au piège sous un plafond de verre contre lequel se déposent des bulles d’air formant des auréoles géantes. Pourtant, «je ne me suis jamais senti aussi libre que prisonnier sous la glace », explique le plongeur. Le corps léger, aérien, en apesanteur. Le coeur bien accroché, qui ralentit au contact de l’eau. « Tout est vraiment particulier, avec toute cette lumière qui traverse la couche de glace, s’émeut encore Stig Severinsen. Vous allez dans un lac en hiver et vous explorez cette scène incroyable… C’est un sacré challenge, mais c’est aussi magnifique. C’est aller dans un endroit où personne ne va. » Un privilège en quelque sorte. Certains observent la flore sous-marine, d’autres préfèrent se surpasser, n’écouter que leur souffle qui diminue à mesure qu’ils gagnent en profondeur, en totale osmose avec les éléments. Prendre ses aises dans ce « lieu sacré » aux allures de cathédrale, comme se plaît à le décrire Antero Joki. 


Ce spectacle de jeux de lumières sous l'eau fait vite oublier les deux degrés Celsius du lac. Le froid se ressentirait surtout avant et moins pendant. Tout serait une question de mental… et d’étanchéité de la combinaison en néoprène, comme raconte Chloé Villaume, apnéiste ayant participé à l’Oslo Ice Challenge : « C’est comme être sous la pluie en T-shirt l’hiver. À part le visage où la barre de froid compresse la boîte crânienne, je suis entièrement couverte. » Elle a fait l’expérience de plonger sous la glace, vêtue juste d’un maillot de bain. 

La plongée sous glace, c’est un peu le “hors-piste” du plongeur. Il ne faut pas se méprendre : le milieu reste hostile et mouvant. Chaque jour, d’autres formes, d’autres lumières, d’autres décors. On perd vite ses repères. Certains n’en sont d’ailleurs pas revenus, perdus dans l’immensité des eaux gelées et surpris par la vitesse à laquelle les puits de lumière se sont refermés derrière eux. Sébastien Poissant, moniteur de plongée depuis près de dix ans, parle d’expérience. « La lumière filtrée vient de n’importe où. Si tu t’éloignes trop de la surface de l’eau, tu manques rapidement de visibilité. » Les plongeurs sous glace descendent verticalement, contrairement aux plongeurs de mer. Pour ne pas perdre l’horizon.

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« Je ne me suis jamais senti aussi libre que prisonnier sous la glace »

Alban Michon, explorateur

« Quand Stig m'a demandé, avant la plongée, si je m'étais bien entraîné et que je lui ai répondu que non, il m'a dit: "Mais tu es folle" »

La folie, Chloé Villaume en est pourtant loin. Tout juste a-t-elle manqué de temps pour se préparer dans les meilleures conditions. Elle plonge vêtue d’un simple maillot de bain, comme ils sont quelques-uns à le faire. Dans la lignée de Stig Severinsen, maître de la discipline.


Le Danois l’avait pourtant prévenue quand ils avaient planifiée son immersion. Qu’il fallait habituer son corps au froid. En douceur, petit à petit, seule façon de ne pas se faire surprendre par la rudesse des éléments une fois dans l’eau. « Il m’a dit que nager dans la Méditerranée quand elle est à 15 degrés était un bon entraînement », se souvient la Niçoise.

S’acclimater à évoluer dans l’eau froide est la première étape par laquelle tous les plongeurs sous glace ont dû passer. « Ce n’est pas la veille qu’il faut commencer, mais longtemps avant, prévient Christian Maldamé. Je prends des douches froides régulièrement et j’avais même pris des bains avec des glaçons avant Oslo (en 2009). »


Un processus nécessaire selon le docteur Mathieu Coulange, médecin spécialiste de la plongée. « Il y a un fort risque avec l’immersion si vous n’êtes pas habitué. Je serai un peu inquiet de vous laisser plonger en maillot dans de l’eau très froide », avertit-il. Il pointe les risques de tétanisation des muscles, pouvant aller jusqu’à l’épuisement. Difficile alors de bouger, au point d’être incapable d’accomplir un simple geste de brasse.

Chloé Villaume se souvient d’un passage du froid au chaud un peu trop brutal dans sa cabine de douche : « J’avais fait couler l’eau sur mon visage et j’ai failli me noyer sous ma douche ! Mon épiglotte s’est fermée, je me suis mise à happer l’air comme un poisson, c’était impossible de respirer normalement. À ce moment-là, je me suis dit : “Ok, ça va être intéressant…” »

Sortie de la chaleur rassurante du sauna, debout sur la glace d’Oslo, Chloé avait décidé de ne pas gamberger. Marcher, traverser l’étendue glacée, s’arrêter au bord du trou, accrocher sa longe, se mettre à l’eau, prendre une dernière inspiration, et y aller. « C’est comme pour un saut à l’élastique, il ne faut pas regarder trop longtemps en bas. Ensuite, soit tu y vas, soit tu restes sur la glace. »


Combinaison sèche, détendeur antigivre, masque et gants étanches sont nécessaires pour évoluer (longtemps) sous glace. Ce premier équipement permet au plongeur de ne pas être en contact direct avec l’eau. Les apnéistes, eux, utilisent une combinaison humide de 5 à 10 millimètres de néoprène. L’équivalent d’un verre d’eau peut s’infiltrer, rapidement réchauffé par le corps.

En maillot de bain, comme Stig Severinsen ou Chloé Villaume, difficile pour le néophyte de supporter le froid plus d’une minute.

Une corde entre deux trous. Le dernier lien avec le monde terrestre. Pour les plongeurs sous glace, la ligne de vie est indispensable. « Ça paraît tout bête, mais quand on est sous l’eau, on s’éloigne de trois, quatre mètres du point d’entrée et tout de suite on a du mal à le retrouver », confie Christian Maldamé. Dans un environnement aussi hostile, ce dispositif n’est pas le seul élément de survie. 


Les “plongeurs-bouteille” utilisent une combinaison étanche, qu'ils gonflent d'air via un détendeur, tandis que les apnéistes optent pour une combinaison humide, moins épaisse donc moins protectrice et infiltrée par l'eau. Mais tous utilisent une longe, cette corde rattachée à un mousqueton puis accrochée à la ligne de vie. Leur sécurité en dépend.


Tout est calculé pour que le plongeur puisse être secouru rapidement au moindre soucis. « Il y a toujours quelqu’un, à la surface, équipé pour remonter la personne en cas de problème, détaille Chloé Villaume. Mais celle qui tient la ligne, elle, ne l’est pas, car elle doit pouvoir marcher et se déplacer. »


La communication est primordiale. D’autant plus sous l’épaisse couche de glace. Couvertes par le bruit du détendeur, ou bloquées par l’eau, les paroles sont vaines. Même engourdies par le froid, les mains demeurent l’unique moyen d’échange entre le plongeur et l’équipe de sécurité. Joindre son index et son pouce en formant un ‘‘O’’, en laissant les trois autres doigts dressés, signifie que tout va bien. Le signe OK universel. À l’inverse, secouer la main suggère que quelque chose ne va pas. Tout problème de matériel ou de santé doit être signalé le plus vite possible. Chaque seconde qui s’écoule augmente les risques.

« On ne plonge jamais seul, raconte Christian Maldamé. Il y a toujours quelqu’un qui s’assure que tout se passe bien, qui peut intervenir et nous sortir la tête de l’eau. » Les rares accidents mortels sont d’ailleurs, pour la plupart, dus à des manquements de sécurité. Des intrépides qui ne suivent pas les règles essentielles et qui en paient le prix fort. La nature est impitoyable. Particulièrement sous la glace.

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« Rien que le contact avec la peau me faisait super mal. Les gens me mettaient des tapes dans le dos. Ça brûlait. Je le disais "Ne me touchez pas! Ne me touchez pas!" J'étais rouge fluo »

Chloé Villaume se souvient encore, après sa plongée en Norvège, des sensations qui ont traversé son corps. Les membres presque paralysés, insensibles. Ses terminaisons nerveuses, engourdies par le froid, se réveilleront à son retour dans le sauna. 

Johanna Nordblad, elle, ne semble pas souffrir. La Finlandaise se dit même assez à l’aise sous la glace. « C’est très agréable. L’eau est froide mais j’ai l’habitude de m’entraîner en piscine extérieure l’hiver et je fais aussi des essais dans des lacs » . Souriante, elle refuse la couverture de survie après sa performance en maillot à Asikkala. Et prend même le temps de discuter avec le public, avant de se rendre dans ce bain de chaleur sèche. 


En Finlande comme à l’Oslo Ice Challenge, les organisateurs n’ont pas oublié ces cabanes en bois, indispensables pour réchauffer leurs compétiteurs. « C’est vraiment top d’avoir une source d’eau chaude pour vite aller se mettre dedans, reconnaît Christian Maldamé, présent lors de la compétition norvégienne. Parfois, on a le droit à un poêle avec un grand feu pour se mettre autour ». 


Les corps piquent et grattent au fur et à mesure que le sang retrouve son débit habituel. La vie retrouve l’enveloppe charnelle qu’elle semblait avoir abandonnée quelques minutes plus tôt. Une fois réchauffé, l’organisme a besoin de se restaurer. Se reconstruire, après avoir puisé au plus profond de ses ressources pour supporter les conditions dans lesquelles il a été plongé. Les réserves n’existent plus. Le froid les a fait fondre.

Puis, c’est le contrecoup. Une fatigue extrême, preuve que le corps est à bout. « Si je peux, je rentre chez moi après la plongée et je fais une sieste de deux à trois heures après avoir avalé un bon repas, confirme Christian Maldamé. Il faut bien ça pour récupérer complètement toute l’énergie et toutes les calories que j’ai dépensées ». 


Plongé dans l’eau glaciale. Martyrisé. Poussé jusque dans ses derniers retranchements. Le corps du plongeur a souffert. Il doit se réconcilier avec lui.

Johanna Nordblad s’assoit face au trou dans lequel elle va bientôt s’engouffrer. Autour d’elle, une cinquantaine de personnes l’observent, scrutent le moindre de ses mouvements, attendent le moment où la Finlandaise va se jeter à l’eau. Pas n’importe laquelle. Cette eau, c’est celle du lac Päijänne, le deuxième plus grand de Finlande. 1000 km² recouverts d’une épaisse couche de glace. La jeune femme ne semble ni pressée ni impressionnée. Sourire aux lèvres, elle prend même une gorgée d’eau glacée puis s’allonge sur un tapis de fitness. Après quelques minutes de concentration, elle se lève, retire lentement sa combinaison de ski, met ses lunettes et s’assoit, les jambes plongées dans l’eau. Enfin, elle s’élance. Son défi : parcourir 50 mètres sous la glace en apnée. Elle est en maillot de bain, l’eau est à zéro degré.


Si certains y voient une bonne dose d’inconscience, Johanna Nordblad n’est pourtant pas la première à tenter ce type de performance. En 2000, Wim Hof, un Néerlandais à l’allure de savant fou connu pour avoir tenté l’ascension de l’Everest en tongs et en short, avait établi un record de 57,5 mètres dans les eaux finlandaises. À sa sortie, il était au bord de l’évanouissement. En 2013, un autre gourou du froid prenait le relais. Stig Severinsen. Le Danois, quadruple champion du monde d’apnée libre, nageait une distance de 76,2 mètres en maillot, 150 avec combinaison et monopalme. Aujourd’hui, et même s’il ne ratera pas l’occasion de s’immerger, il est venu en spectateur.


Smartphone en main pour immortaliser le moment, il suit la foule et se hâte de rejoindre le dernier trou, celui par lequel Johanna Nordblad est censée émerger. Sous ses pieds, un paysage « magique », comme ils aiment à le décrire, mais qui peut se transformer en prison en cas d’erreur. Trois mètres plus bas, la jeune femme progresse par mouvements lents afin de ne pas s'essouffler dès les premières secondes. À ses côtés, des plongeurs veillent à sa sécurité. Comme à chaque tentative de record, plusieurs trous ont été aménagés le long du parcours. Au cas où. La Finlandaise ne s’y arrêtera pas. Dans son élan, elle veut même aller plus loin et manque la sortie. Comme si les 50 mètres parcourus n’étaient qu’un échauffement. « Ici, ici ! », lancent quelques spectateurs soudain inquiets. Avertie par le plongeur de sécurité, elle fait un léger demi-tour et sort la tête de l’eau. Victorieuse. Dans le public, l’inquiétude laisse place aux cris de joie et aux applaudissements. Antero Joki sort à son tour, GoPro dans une main, poing levé en signe de victoire. « Respire, relaxe », lui lance Stig Severinsen. Le record est établi. Johanna Nordblad est la première femme à réaliser une telle distance sous la glace en maillot de bain.

Pour ceux qui foulent la surface d’un lac pour la première fois, l’expérience a de quoi effrayer. Toutes les 15 secondes, une explosion retentit comme si la banquise allait s’effondrer sous vos pieds. Pas d’inquiétude à avoir pour autant, le phénomène est naturel. « En journée, ça fond un peu avec le soleil et de l’eau s’injecte dans la couche de glace, la nuit cette eau gèle à nouveau et écarte les parois », sourit Antero Joki. Si cette année, le timing est confortable –il faudra encore attendre deux semaines avant la fonte complète –  la session 2014 était plus risquée. « L’année dernière, pendant les plongées, on entendait la glace qui se fissurait déjà un peu plus loin », ajoute Stig Severinsen. 


À cinquante mètres du rivage, quelques personnes s’affairent déjà autour des trous, creusés la veille pour la plupart. Autour d’eux, quelques scies, des banderoles de sponsors, du matériel de tournage et une tente d’appoint. C’est ici que plongeurs et apnéistes doivent venir signer leur décharge de responsabilité. Un rappel aux amateurs qui imagineraient que l’activité est sans risque. « Si vous allez sous la glace mais que vous ne savez pas ce que vous faites, vous avez des chances de mourir, que ce soit d’une attaque cardiaque ou d’une crise de panique », commente Stig Severinsen. Victime il y a quelques années d’une syncope en apnée, il explique que l’activité n’est pas non plus synonyme de folie pure. « Quand je vais sous la glace en maillot, on me dit souvent qu’il faut être fou pour le faire ou que c’est du suicide mais plein de gens font des choses pour repousser leurs limites, choses que je ne ferais pas moi-même ». Le compétiteur sait de quoi il parle. Docteur en médecine, il enseigne les méthodes de respiration et de relaxation. Selon lui, avec de l'entraînement, n’importe qui pourrait supporter le froid extrême. Ce froid qu’il faut parvenir à affronter encore et encore avant de pouvoir le maîtriser. Jusqu’à en devenir une obsession.

« Je suis devenue accro au froid », confie Johanna Nordblad une fois son record établi. Elle qui est restée dans l’eau encore de longues minutes après son « test ». Elle qui « aurait pu faire beaucoup plus », confirme Antero Joki. « C’est la relève », ajoute Stig Severinsen. Féminine qui plus est. Avant elle, d’autres femmes se sont essayées à la distance sous glace comme la Turque Sahika Ercümen. Son propre record tient toujours. 110 mètres sous le Lac Weissensee en Autriche en 2011. Mais avec combinaison et monopalme. En maillot de bain et à la seule force de ses muscles, Johanna Norblad est bel et bien la première.


Un moment que Pekka Tuuri, le photographe, n’a pas manqué d’immortaliser. Lui est sous l’eau quasiment tout le temps. Il décrit une nage élégante, sans effort, loin des mouvements de « cosmonaute » des plongeurs qu’il faut aider à sortir tellement leur fardeau est lourd. « Les apnéistes, ce sont des phoques », poursuit le photographe en référence à leur mouvement ondulé, fluide et en harmonie avec l’environnement. Il est encore sous l’eau quand Antero Joki, Lauri Aalto et Paula Hietanen commencent leur défi du jour. Réaliser le maximum de distance en relais. À chaque sortie, ils vérifient leur caméra - rares sont ceux qui plongent sans - ou se reposent les bras accrochés aux bords. En quinze minutes, ils abattent 650 mètres par relais de 30 secondes. Pour le fun.


À mesure que le soleil décline et que la température baisse, les spectateurs se font moins nombreux. Les participants, eux, se ravitaillent en saucisses cuites sur un barbecue maison à même la glace ou rejoignent le coin restauration sur le rivage. Pour ceux qui le souhaitent, un passage au sauna est possible, voire recommandé. « Ici, il y a un sauna par habitation », glisse un habitant du coin. C’est lui aussi qui nous apprend que le lac sur lequel nous marchons depuis des heures alimente Helsinki en eau potable. 

Vers 16 heures, il ne reste plus qu’une dizaine de personnes au milieu du lac. Après quelques apnées en profondeur pour admirer la banquise, ceux qui sont encore là attendent le retour de Stig Severinsen. Il ne partira pas sans faire sa "spéciale": parti enfiler son slip de bain noir et rose, on le voit revenir, sourire aux lèvres, le pas peu assuré sur le sol glissant. L’image fait sourire. Pas de doute, le contexte est bien différent de l'Oslo Ice Challenge de 2009. La seule compétition sous glace ayant jamais eu lieu. À l’époque, il avait atteint 41 mètres de profondeur, toujours en maillot. Quatre de moins que le français Guillaume Nery, vainqueur de la compétition. Avant de se lancer, il s’assoit et fait quelques exercices de yoga. La descente est rapide. Pas plus de 10 mètres.


Aujourd’hui, il plonge avant tout pour la caméra de la journaliste allemande qui le suit dans le cadre d'un reportage. Il le dit lui-même, la compétition c’est fini. «Préparer un record demande beaucoup de préparation, on s'entraîne pendant plusieurs mois. J’ai battu des records à plusieurs reprises, maintenant je me concentre sur des projets personnels ». Malgré tout, il reviendra sûrement ici l’an prochain. Comme bien d’autres. Pour Stig Severinsen, ce sera par pur plaisir. Mais d’autres suivront peut-être les traces de Johanna Nordblad. 


De retour à l’hôtel, Antero Joki explique vouloir attirer de plus en plus de monde au fil des années, plongeurs et apnéistes confondus. Pour les indécis, il a sa petite anecdote. Celle d’une reporter qui avait accepté de plonger avec eux une année pour voir à quoi ressemblent les entrailles d’un lac gelé. « On lui a prêté une combinaison et elle a plongé un peu sous la glace. Quand elle est remontée, elle a dit, je veux y retourner, elle est redescendue à deux mètres de profondeur, pas plus, elle est restée à peuprès 5 à 10 secondes. Quand elle a sorti la tête de l'eau, elle rigolait et elle a continué jusqu'au sauna avant de dire maintenant “je comprends pourquoi vous venez ici.” »

Stig Severinsen et Johanna Nordblad séduisent par l’aisance avec laquelle ils réalisent leurs performances. Cette plongée en maillot de bain est magnifiée par les raies de lumières qui percent la couche givrée. Au point de se lancer sans plus attendre dans l’exploration des splendeurs de cette prison de glace ? Mathieu Coulange, médecin spécialiste de la plongée et chef de service hyperbare à l’hôpital sud de Marseille, est formel : le sentiment grisant de liberté qui se dégage de la discipline ne doit pas cacher l’énorme préparation de ces apnéistes de haut niveau. 


Conditions optimales ce matin à Morzine. Grand soleil et un thermomètre qui affiche -5°C dans l’air, 5°C dans l’eau. « C’est le paradis. Ici on est descendu à - 30, alors une eau à cinq degrés… », s’amuse Sébastien Poissant. Emmitouflé dans ses vêtements chauds, glissé dans sa combinaison étanche, le moniteur de plongée ne redoute pas le froid. « C’est surtout une épreuve dans la tête avant d’y aller ». Il se souvient pourtant encore de sa chute dans un lac gelé lors d’une randonnée, sans équipement adapté.

Une personne sur deux meurt au bout d’une heure. Après six heures, les espoirs de survie sont nuls, les recherches sont suspendues. « Il y a la crainte de ne pas retrouver la surface », témoigne Sébastien Poissant. La neige, l’épaisseur de glace ou encore la vase qui remonte du fond du lac limitent la visibilité. L’obscurité ambiante les jours de mauvais temps renforce l’impression d’évoluer à l’aveuglette. « Si tu t’éloignes de la sortie, la glace est uniforme. Les repères lumineux s’estompent aussi. La lumière est diffuse, elle pourrait venir de n’importe où », décrit le moniteur. Sous ce miroir opaque, seuls bulles et fragments de glace aux abords du trou, guident le plongeur.


« On a dénombré deux accidents dans notre service depuis une dizaine d'années alors que l'on en traite une centaine chaque année en plongée en mer », rappelle Mathieu Coulange. Alors pourquoi aussi peu d’incidents dans des conditions aussi extrêmes ? Deux facteurs expliquent cela, d'après le spécialiste : la confidentialité de la pratique et le fait que « les gens ont conscience de cet environnement contraignant et vont utiliser des structures et un équipement adaptés ». Lors de cette plongée éprouvante pour le corps, la plupart des mésaventures, sont, en effet, liées à une préparation insuffisante ou à un manque d’attention. Christian Maldamé, ancien apnéiste de l’équipe de France, garde d’ailleurs en mémoire deux drames. « Dans le sud de la France, un groupe de plongeurs n’a pas fait attention. Ils ont oublié un gars », raconte-t-il, avant d’évoquer cet accident survenu lors de la tentative de record d’apnée sous glace en 2011 de Peter Colat. Celui qui a trouvé la mort, pourtant responsable de la sécurité, a plongé malgré la mise en garde des autres accompagnants et est resté coincé sous la glace.

« Quand on se jette vite dans l’eau froide, on va se tendre, se bloquer un peu, cela coupe la respiration », explique Christian Maldamé. Ce premier choc, par sa violence, peut conduire à une hydrocution, qui se traduit par un arrêt cardiaque et une perte de connaissance.
Affronter ces températures s’apparente à une lutte de tous les instants dans laquelle tout le monde ne se bat pas à armes égales. « Avoir une bonne couche de graisse, ça peut aider », s'amuse Mathieu Coulange en donnant l’exemple de « ces nageurs de combat, qui peuvent rester longtemps croupis dans les eaux froides ». Une alimentation riche est nécessaire pour tenir, confirme Alban Michon, qui raconte sa préparation lors de ces expéditions : « On était sur du 5 500 calories par jour »

Même préparé, l’organisme se refroidit progressivement. « On a beau avoir le meilleur matos du monde, à un moment c’est physiologique », témoigne le plongeur habitué des eaux froides. L’hypothermie, baisse de la température corporelle, prend différents visages au fil du temps. « Les 20 premières minutes ça va bien, au-delà, tu commences à avoir les doigts qui picotent », décrit-il. Puis ces premiers symptômes s’estompent, la dextérité diminue, les réflexes s’amoindrissent. En témoigne l’expérience du moniteur de plongée Sébastien Poissant : « J’ai perdu l’usage de ma main sans m’en rendre compte, elle s’était engourdie mais je me disais que ce n’était pas grave. Quand je suis sorti de l’eau, les clients ont dû m’aider à retirer mon gant, j’avais la main toute bleue ».  En proie à un froid trop extrême, il faut réagir et trouver le chemin de la sortie avant qu’il ne soit trop tard, avant l’endormissement, la perte de connaissance, le coma, voire la mort.  

La sensation éprouvée par Sébastien Poissant s’explique par la vasoconstriction périphérique. Face au froid, le corps sacrifie les extrémités au profit des organes vitaux. Le sang se concentre au niveau du coeur, des poumons et du cerveau. Dans l'eau et sous la pression, ce phénomène est accentué et se conjugue au ralentissement du rythme cardiaque du fait de l’immersion de la tête dans l’eau. « On a donc une pompe qui s'engorge et qui bat moins vite. La pression augmente et il y a un risque de fuite de sang dans les organes autour du cœur, notamment les poumons. On peut faire un accident cardiaque ou pulmonaire », développe le Dr Coulange. Stress, effort physique et fragilité cardiaque sont autant de facteurs aggravants. 

Même pour le "plongeur bouteille", le manque d’oxygène n’est pas à exclure. Un danger à prendre très au sérieux. « Le matériel quand il est mis dans du froid, notamment le détendeur, peut se mettre à dysfonctionner et partir en débit continu. La bouteille va se vider très rapidement », précise le médecin. Une panne d’air peut entraîner la perte de connaissance ou, pire, la noyade, comme ce fut le cas dans un accident tragique dans le Jura en 2011. D’où la nécessité du dispositif de sécurité et du fil d’Ariane pour retrouver la sortie.

Lors de toute immersion, l’eau exerce une pression sur le corps - accentuée par la profondeur - qui entraîne un stockage de gaz dans les tissus. « Lorsque vous remontez, la pression va chuter. Le gaz qui était dans les tissus repart dans le sang sous forme des petites bulles qui vont être filtrées dans le poumon pour être éliminées », explique Mathieu Coulange. Pour s’en débarrasser, le plongeur doit remonter progressivement ou effectuer des paliers, des pauses lors de la remontée. « Si on remonte vite, les bulles seront larguées en grande quantité et vont bloquer la circulation entraînant l'accident de désaturation ». Le médecin doit alors placer les victimes dans des caissons sous pression pour reproduire les conditions d’une remontée plus lente. 

La sortie de l’eau est un moment particulièrement critique. En altitude, l’oxygène est présent en plus faible quantité, d’où une récupération ralentie. L’isolement des lieux de plongée et leurs difficultés d’accès accroissent le danger car le délai avant l’arrivée des secours est allongé. 

En plongée sous glace, les accidents de décompression sont favorisés car le froid accentue la saturation en gaz, même si l’objectif est rarement de sillonner les abysses (sauf dans le cas de plongées d’exploration). Pour éviter ce problème, Alban Michon utilisait un recycleur, « une machine qui te permet de gérer ton taux d’oxygène comme tu le souhaites ». Lors de leur plongée à plus de cent mètres de profondeur, les chercheurs de la mission scientifique Under the Pole II ont dû, en dépit du froid polaire, remonter lentement. « Les paliers n’ont cessé d’augmenter jusqu’à durer plus d’une heure entre neuf mètres et la surface, ce qui n’est pas anodin quand l’eau est en dessous de zéro. Il s’agit de ne pas souffrir d’une impatience qui fait de ces paliers une barrière nous emprisonnant à quelques mètres de la surface », raconte l’un des plongeurs, Martin Mellet, dans le journal de bord. Participer à cette expédition implique pour les plongeurs de tester leurs propres limites.

« Bon, c’est pas réjouissant. Vous avez des vents de face pour toute la semaine. Il y a des précipitations et des blocs de glace se forment autour de vous. Là, il faut trouver une planque et rester en sécurité parce que vous ne pourrez pas avancer ». Depuis son bureau à Tignes, Géraldine Foulgoc, dit “GG”, transmet consignes et informations météorologiques à Vincent Berthet et Alban Michon. Elle est la “miss météo” des deux explorateurs, perdus à plus de 3 600 kilomètres de là, au Groenland. 


Le 10 août 2012, ils arrivent sur le continent blanc. Un projet un peu fou, baptisé Wi.D.E (Wilderness Diving Exploration Greenland), les a conduits à venir défier le grand froid pendant plus de 50 jours. Objectif de l’odyssée: rallier en kayak de mer le village de Tasiilaq, à 1000 kilomètres d’Ittoqqortoormiit, leur point de départ situé sur la côte est. Une quête de liberté, de nouveaux horizons mais aussi une expédition scientifique. Un documentaire, baptisé “Le Piège Blanc”, racontera leurs aventures. 


Leur planque ? Une tente de deux mètres carrés dans laquelle ils resteront trois jours, par -20°C. « Cet épisode - se rappelle Géraldine Foulgoc - n’était pas facile moralement pour eux. Rester 72 heures à ne rien faire, à compter des Chocapic, c’est dur ! » La répartition des rôles est simple : à Alban Michon les plongées sous la banquise, tandis que Vincent Berthet, cameraman de formation, s’occupe des images. « Évoluer dans ce décor, c’était une chance incroyable, témoigne ce dernier. On navigue dans la glace, le soleil rayonne, les montagnes nous entourent et il n’y a pas un bruit. C’étaient des moments magiques. »

« Cette idée du “Piège Blanc”, je l’ai eu un an et demi avant le départ, explique Alban Michon, aussi directeur de l’école de plongée sous glace de Tignes. Personne ne me prend au sérieux, ça ne marche pas, tout le monde s’en fout… Et puis un jour à force d’en parler, on me dit que France Télévisions veut faire un 110 minutes sur notre expédition. » Au départ hésitant, il finit par accepter. Une équipe de production suit les premiers et derniers jours de l’aventure. 

Il passe un coup de fil à Vincent, rencontré en 2010 sur une autre expédition, et tous deux commencent à préparer ce projet un peu dingue. Nourriture, matériel de plongée, tente, vêtements, trousse de secours … tout est savamment étudié pour ne pas trop charger les embarcations. 

« Je savais que tout allait bien se passer avec Alban, explique Vincent Berthet. Il essaie toujours de créer de la complicité, de partager ses idées. Et il a beaucoup d’humour. » Réplique de son partenaire : « “Vince” était souvent en train de râler, mais en même temps ça permet d’avoir un équilibre. On était très complémentaires. » 

La magie d’un monde sous glace, sans aucun bruit. D’une faune incroyablement riche. Les 17 plongées réalisées par Alban Michon pendant l’expédition lui réservent des surprises : observation de méduses arctiques, ballet en compagnie d’un requin du Groenland … Sans oublier son tête-à-tête avec un ours polaire. 

Les précautions sont essentielles pour braver les eaux hostiles et inconnues. « Avant de plonger, j’étais hyper concentré, se rappelle l’explorateur arctique. Tu as un appareil qui est particulier, le recycleur, tu es dans un environnement que tu ne maîtrises pas, un iceberg peut se retourner, tu peux rencontrer un ours … Et tu es à des milliers de kilomètres du moindre secours. »

Vincent Berthet se souvient de l’effondrement d’un énorme pan de glace. Il attendait Alban, occupé à explorer les fonds marins. « Je ne savais pas où il était, explique-t-il. C’était assez angoissant. En même temps, je ne pouvais pas faire grand-chose : je n’avais pas de combinaison, aucune expérience en plongée, j’ai des problèmes de tympan qui m’empêchent de descendre au-delà de trois mètres … » 

Si les deux aventuriers ne connaissent pas de gros problèmes au cours de leur exploration, ils traversent un mauvais moment. « Il faisait nuit quand un kayak avec du matériel dedans est parti à la dérive », raconte Alban Michon. Vincent Berthet complète : « On a mis trois heures à le ramener à bon port. On pataugeait dans l’eau glacée, avec du vent qui nous poussait au large. On se demandait si on allait rejoindre la côte. L’embarcation s’était retournée, on avait nos sacs de nourriture, la combinaison étanche d’Alban… L’eau devait être à un degré, je n’avais pas de gants. Je me suis dit : “C’est peut-être le dernier jour, peut-être que ça va très mal se terminer.” Mentalement, c’était le moment le plus chaud de l’expédition. Dans l’eau, j’ai pensé à ma copine, à ma famille, en me disant : “Ce serait con d’en rester là”. On n’a pas pu filmer, parce que c’était notre vie qui était en jeu ».


Deux années se sont écoulées depuis la fin de leur périple dans les eaux glacées de la côte est du Groenland. « C’est vieux maintenant, explique Géraldine Foulgoc. C’était beau, on est contents de l’avoir vécu, même si je n’étais pas directement sur place. Moi, c’était un truc qui était à côté, un peu fun ! » Alban Michon raconte : « Les expéditions comme celles-là t’aident à relativiser, à faire un reset. Ici, on maîtrise la nature. Là-bas, c’est totalement l’inverse. Tu es libre, mine de rien, mais c’est elle qui te maîtrise. Ça fait un bien fou, et ça déstabilise aussi. »


Avant le Groenland, il avait connu la première partie de l’expédition polaire “Under the Pole”. Pour lui, la comparaison entre les deux climats est difficile. « Quand j’étais au pôle Nord, j’avais l’impression d’avoir Mike Tyson qui me boxait la gueule tous les jours ! En termes de froid, c’était plus dur. – 10°C au Groenland, quand tu as fait le pôle avant, c’est plus facile. »

“Under the Pole”, c’était l’expédition de Ghislain Bardout. La banquise pour lui, ce n’est pas simplement un terrain de jeu, c’est l’aventure de sa vie. Une histoire qui pour l’instant ne se compose que de deux épisodes, mais qui s’étale déjà sur une dizaine d’années, tant la préparation est longue. Dans son sillage, il entraîne une centaine de personnes, dont son petit garçon, Robin, trois ans.

 

“Under the Pole I” : 45 jours au pôle Nord. Pour découvrir, explorer et recenser. “Under the Pole II” : un an et demi, du sud au nord du Groenland. A se laisser porter par le voilier le long des côtes, à vivre au rythme de la banquise qui se forme et à parcourir ces étendues gelées en traîneaux à chiens. Pas seulement pour le plaisir : Ghislain Bardout et son équipe plongent pour la science, pour dépasser les limites du corps humain et de la technologie, pour voir ce que d’autres n’ont jamais vu et pour faire ce que personne n’a jamais fait.

 

Comme la plongée profonde polaire : « Sur cette expédition, c’était un de nos objectifs, explique le directeur de l’exploration. Aller voir bien au-delà, sous la glace. C’est très difficile parce que ça fait appel à deux choses : le côté technique de la descente en profondeur, et l’immersion dans un milieu polaire. » Pourtant, ils ont réussi. Les plongeurs d’Under the Pole II sont descendus à 112 mètres, grâce à du nouveau matériel, à des techniques qui fonctionnent et qu’ils pourront transmettre par la suite. A tous. Même si, c’est vrai, ce projet a une première visée de recherche : exploratoire en termes de techniques de plongée et de milieux ; et scientifique, à travers différentes études menées au fil des saisons.

 

Under the Pole I était dans la même veine : « C’était une expédition très engagée, difficile. Notre travail s’intéressait exclusivement à la banquise, à sa face sous-marine en particulier, dans tout son éclat : la plus grande, la plus belle, mais la plus rude aussi », raconte Ghislain Bardout. Et finalement, le plus difficile n’était pas la plongée, toujours magnifiée par l’environnement, mais le retour à la surface. « Au pôle Nord, une tente nous protégeait du froid, se souvient Alban Michon. Tu gagnes 5°C, tes potes t’ont préparé du thé ou de la bouffe. On avait aussi un groupe électrogène et un décapeur thermique. Le truc qu’on utilise d’habitude pour faire fondre la peinture sur les murs. On se le mettait à quelques centimètres du visage, ça réchauffait bien. »

 

Depuis le 27 mars, l’équipe d’Under the Pole II a attaqué la troisième et dernière partie d’un voyage commencé fin 2010, quand Ghislain Bardout avait écrit son histoire. Dans la première période de l’expédition, ils plongeaient. Même plus que prévu : 150 immersions annoncées, 180 effectuées. Tout le monde va à l’eau. Certains en circuit ouvert, d’autres en recycleur. Un à deux tours d’immersion sous la glace étaient organisés par jour, en se relayant. La seconde étape, c’était l’hivernage, le retour à la ville pour faire face au grand froid : « La glace va bloquer le bateau, et on ne sera libéré que début ou mi-juin, un truc comme ça », racontait Ghislain Bardout en décembre, la tête encore sous la banquise.

 

Leur dernière semaine de plongée avait été une apothéose. Huit spécimen de requins du Groenland avaient nagé avec eux, dans leur élément naturel, sans artifice. Demain, Ghislain Bardout retournera dans les profondeurs de l’Arctique : « Dans la zone des 100 mètres, précise-t-il dans son carnet de bord. Peut-être moins, peut-être plus, mais certainement sous un plafond de glace et des icebergs qui nous domineront, comme des géants immobiles. » Le regard sur les sommets dominant Uummannaq, baigné dans la lumière d’un coucher de soleil permanent, il attendait l’hiver.

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Le matin même à l’hôtel Takkula, ce n’est pas l’heure de parler record.( mais plutôt celle des retrouvailles) C’est l’heure des retrouvailles. La journée qui va se dérouler est organisée par Antero Joki.(Prononcer Yoki pour la touche finlandaise) Yoki en Finlandais. (Initié) Commencé en 2012, l’événement a un nom bien à lui : Païjane on the rocks. Païjane pour le lac. Rocks pour la glace. Pour accéder à ce coin retiré de Finlande, il faut rouler une heure et demie vers le nord depuis la capitale, Helsinki. Une ligne droite interminable en lisière de forêts. 120 kilomètres  plus loin : Vääsky, un bras de terre entre deux lacs. Autour : deux routes, un golf, quelques commerces et l’hôtel Takkula.


À l’intérieur, les vacanciers ne sont pas au courant de l’événement qui va avoir lieu. Ils ne remarquent pas non plus l’arrivée, dans le restaurant de l’hôtel, de ce Finlandais au physique de déménageur, légère barbe et catogan. Du haut de (son mètre 90) ses 1m 90, Antero Joki est loin de l’archétype de l’apnéiste. « Je bois souvent du café, même les jours de compétition, j’ai fumé pendant des années, je suis en surpoids et j’ai de l’asthme » avouera le régional de l’étape une fois sur la glace. Pourtant c’est lui qui, en 2011 en Grèce, avait établi un nouveau record d’apnée pour l’équipe finlandaise : 80 mètres en immersion libre. Aujourd’hui, il est là « pour le fun ». Avant d’être une rencontre sportive, la journée est surtout une réunion entre copains. À ses côtés à la table du petit-déjeuner, Johanna Nordblad. La nouvelle venue dans le monde de la plongée sous glace est accompagnée de sa sœur, appareil photo au cou. Quelques minutes plus tard, Stig Severinsen, palmes sous les bras, fait son entrée. La veille, il est arrivé sans bagages. Égarés quelque part à l’aéroport. Pas de quoi contrarier le champion. « Tant que j’ai mes palmes et mon maillot, ça suffit, je n’ai besoin de rien de plus ». Si ce n’est son petit chat en peluche du nom de « Bœuf ». Un porte-bonheur qui le suit partout, même sur la glace.


À travers les baies vitrées de l’hôtel, le soleil est déjà bien installé. Pas de neige à l’horizon. Une fois à l’intérieur du bus qui les emmène vers « Paijanne on the rocks », Antero Joki résume : « Aujourd’hui les conditions sont parfaites, il faut beau, il n’y a pas de neige et vous pourriez même vous baigner à des endroits où la glace a déjà fondue ».

Pour accéder à ce coin retiré de Finlande, il faut rouler une heure et demie vers le nord depuis la capitale, Helsinki. Une ligne droite interminable au coeur des millions d’hectares de forêt que compte le pays. 120 kilomètres plus loin, Vääsky, un bras de terre entre deux lacs. Comme une dernière étape avant de s’enfoncer dans un paysage toujours plus bleu et encore plus sauvage.


Autour de la ville : deux routes, un golf, quelques commerces et l’hôtel Takkula. Le lieu est immense. Un dédale de couloirs, moquette jaunie et pierres sur les murs, le tout éclairé par une lumière blafarde. Un décor défraîchi par les années où salons et chambres semblent vides. L’ambiance est plus proche de Shining que de l’hôtel pour touristes. Mais l’endroit dispose d’un sauna et d’une piscine. Parfait pour les plongeurs.


Le matin même, ce n’est pas l’heure de parler record. C’est celle des retrouvailles. La journée qui va se dérouler est organisée par Antero Joki. Yoki en bon finnois. Initié en 2012, l’événement a un nom : “Päijänne on the rocks”. “Païjänne” pour le lac. “Rocks” pour les morceaux de glace qu’il faut littéralement arracher de la surface pour s’aventurer de l’autre côté.


Dans la salle du petit-déjeuner, les vacanciers ne semblent pas au courant de l’événement qui va avoir lieu. Ils ne remarquent pas non plus l’arrivée de ce Finlandais au physique de déménageur, légère barbe et catogan. Du haut de son mètre 90, Antero Joki est loin de l’archétype de l’apnéiste. « Je bois souvent du café, même les jours de compétition, j’ai fumé pendant des années, je suis en surpoids et j’ai de l’asthme », avouera un peu plus tard le natif du coin. Pourtant c’est lui qui, en 2011 en Grèce, a établi un nouveau record d’apnée pour l’équipe finlandaise : 80 mètres en immersion libre. Aujourd’hui, il est là « pour le fun ». Avant d’être une rencontre sportive, la journée est surtout une réunion entre copains.


À ses côtés, l’ambiance est détendue. Tout le monde est accompagné. Antero Joki par sa femme, Johanna Nordblad par sa soeur et Stig Severinsen par un petit chat en peluche du nom de “Bøf”. Son porte-bonheur qui l’accompagne partout, même sur la glace. La veille, il est arrivé sans bagage. Égaré quelque part à l’aéroport. Pas de quoi contrarier le champion. « Tant que j’ai mes palmes et mon maillot, ça suffit, je n’ai besoin de rien de plus ». À travers les baies vitrées de l’hôtel, le soleil est déjà bien installé. Une fois à l’intérieur du bus qui les emmène vers “Päijänne on the rocks”, Antero Joki résume : « Aujourd’hui les conditions sont parfaites, il fait beau, il n’y a pas de neige et vous pourriez même vous baigner à des endroits où la glace a déjà fondu ».

« Il y a toujours quelqu’un, à la surface »

Chloé Villaume, apnéiste

« Si vous allez sous la glace mais que vous ne savez pas ce que vous faites, vous avez des chances de mourir »

Stig Severinsen, champion d'apnée

 

« Je suis devenue accro au froid »

Johanna Nordblad, apnéiste

« Il y a la crainte de ne pas retrouver la surface »

Sébastien Poissant, moniteur

« Il s’agit de ne pas souffrir d’une impatience qui fait de ces paliers une barrière nous emprisonnant à quelques mètres de la surface »

Martin Mellet, explorateur

« La glace va bloquer le bateau, et on ne sera libéré que début ou mi-juin »

Ghislain Bardout, explorateur

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